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Avec son combat contre les "influvoleurs", Booba a-t-il "tué le business" des influenceurs ?

Publié le 6 juillet 2023 à 19h53, mis à jour le 7 juillet 2023 à 9h24

Source : TF1 Info

Selon l’influenceuse Julia Paredes, Booba serait responsable de la chute drastique de ses revenus.
Le rappeur n’a en réalité que donné de l’écho au phénomène, auquel s’attaque aujourd’hui Bercy.

"Franchement il nous a tué le business. Il a fait le nettoyage naturel." Cette petite phrase de Julia Paredes résumerait l’état dans lequel Booba a laissé les finances des stars de la téléréalité, devenues influenceurs sur les réseaux sociaux. Se confiant au vidéaste Jeremstar sur sa vie de mère célibataire à Dubaï, l’influenceuse a fait du rappeur le responsable d’une perte massive de ses revenus, "tombés" à 5000 euros par mois. Elle fait allusion à la campagne lancée par Booba contre les arnaques en ligne des créateurs de contenus. Du couple Blata à Dylan Thiry, les "influvoleurs" ont été épinglés par celui que l'on surnomme le Duc de Boulogne, au point de se dire cyberharcelés par l’artiste et sa puissante communauté.  

Le lent déclin après le drop shipping

Si les déboires judiciaires de ces influenceurs, issus d’émissions de téléréalités et exilés à Dubaï, sont aujourd’hui largement traités, ils ne représentent pourtant que "0,03% des 150.000 créateurs de contenus" en France, rappelle Mohammed Mansouri, directeur délégué de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Soit une goutte d’eau dans le monde de l’influence. Le fait est que leur système, bâti sur leur notoriété acquise grâce au petit écran et développé au fil de leurs publications, n’est pas aussi florissant qu’avant. 

Pour Audrey C., derrière le compte Instagram "Vos stars en réalité", qui recense depuis 2019 les pratiques des stars de la téléréalité, c’est l’arrêt du drop shipping qui a mis fin au modèle économique. Une pratique qui consistait pour un influenceur à acheter en ligne un produit à un site qui le commercialise et à l’expédier au consommateur final… non sans réaliser au passage des marges importantes. 

Sur Instagram, des figures de la téléréalité font la promotion de produits dans le cadre de partenariats. Maeva Ghennam (à droite) glisse désormais la mention "collaboration rémunérée".
Sur Instagram, des figures de la téléréalité font la promotion de produits dans le cadre de partenariats. Maeva Ghennam (à droite) glisse désormais la mention "collaboration rémunérée". - Instagram

Audrey C. retrace l’évolution des pratiques sur ces comptes d’influenceurs, suivis par des millions de personnes. "Le drop shipping a fonctionné jusqu’en septembre 2021. Ils sont ensuite passés à la pratique illégale de la médecine jusqu’en juin 2022 et en filigrane, ils ont fait des publicités de formations finançables par le CPF. Ils ont aussi promu des NFT et la cryptomonnaie, qui ne passaient pas par des agences." Résultat, le chiffre d’affaires des deux principales agences d’influenceurs en France, Shauna Events et de We Events, a dégringolé de 40% au début de l’année 2022, selon Audrey C. 

Interrogée, Magali Berdah explique avoir fait des choix dans les partenariats de son agence Shauna Events. Selon l’agente des stars de la télé-réalité, les revenus des influenceurs ont par conséquent diminué dès 2019. "On a décidé de baisser notre chiffre d’affaires parce qu’on a fait du tri", explique-t-elle. Toujours est-il qu’avec des activités de moins en moins rentables, ces célébrités des réseaux sociaux ont été contraintes de revenir aux vieilles recettes qui ont fonctionné. Et notamment aux booking, ces prestations rémunérées en boite de nuit, comme le raconte Le Parisien dans une enquête.

Un hashtag "influvoleurs" en juin 2022

Mais alors quel rôle Booba a-t-il joué ? Peut-il aujourd’hui se vanter d’avoir mis fin au modèle des influenceurs ? Pas selon Magali Berdah, qui assure se renouveler en permanence. "Il n’a pas tué le business, il a tué la réputation", souligne celle qui dénonce avoir été cyberharcelée par le rappeur (une information judiciaire est d'ailleurs ouverte à son encontre). En remontant le temps, la cabale montée par Booba contre ces professionnels des réseaux sociaux a commencé avec le couple formé par Marc et Nadé Blata, à l’automne 2021, pour des affaires personnelles. Puis elle s’est déportée vers Magali Berdah en mai 2022, situe Audrey C. grâce à ses publications de l’époque. Les raids numériques de Booba contre les partenariats rémunérés ont émergé seulement à l’été 2022, avec le hashtag "influvoleurs" créé fin juin. La principale agence concurrente We Events, dirigée par Wesley Nakache, a été épargnée tout du long. 

De fait, plusieurs médias se sont intéressés bien avant le rappeur aux influenceurs et à leurs dérives. En mai 2021, l’émission du journaliste Martin Weill montrait les coulisses à Dubaï et en septembre 2022, l’émission "Complément d’Enquête" consacrait un numéro au phénomène. Un sujet tourné six mois plus tôt, d’après Magali Berdah qui y a participé. L’ensemble des acteurs interrogés s’accordent sur un point. Si Booba n’a pas provoqué la chute du modèle, il a contribué à médiatiser le sujet et a été ainsi "une véritable caisse de résonance", pour Audrey C. 

Le rappeur Booba en guerre contre l'influenceur Dylan Thiry
Le rappeur Booba en guerre contre l'influenceur Dylan Thiry - capture écran

"De gros comptes dénoncent régulièrement ces pratiques depuis des années. Mais ce n’était pas suffisant", estime le collectif AVI, l’association d’aide aux victimes d’influenceurs créée en août 2022. Depuis, elle a permis de déclencher des actions collectives contre plusieurs influenceurs. "Booba a permis de relayer toutes ces affaires. Mais il est seulement l’un des éléments qui a permis de faire éclater cette bulle. Tout un travail est effectué depuis juin 2022, via l’interpellation des médias et des députés. La DGCCRF (l’autorité de contrôle de Bercy, ndlr) a ouvert des enquêtes." 

La loi votée en juin a également mis en lumière le manque de transparence dans le milieu. "Elle a le mérite de rendre les choses très claires et de rappeler des interdictions qui étaient déjà applicables à certains secteurs", comme la non-publicité pour l'alcool, les cigarettes ou les jeux d'argent, comme le souligne Mohammed Mansouri.

Des marques qui soignent leur image

Résultat, les marques se sont peu à peu détournées de ces influenceurs, écornés par des scandales en série, aussi bien médiatiques que judiciaires. Les raisons sont multiples : l’image, d’abord. Comme le constate Myriam Ouni, de l’agence Loup Agency qui propose ses services de communication à des marques, des grands annonceurs refusent désormais d’"associer leur image avec des influenceurs de téléréalité car cela fait 'cheap' (pauvre, ndlr)".  

Une prise de conscience se serait dès lors opérée au sein des marques. Et ce, bien avant que Booba n’entre en scène. "Si avant, on faisait appel aux tops de l’influence, le paradigme a changé dans le secteur. C’est devenu has been de s’associer avec des anciennes stars de la téléréalité qui font appel à des services qui ne sont pas homologués et qui utilisent des arnaques pour leur activité", souligne Myriam Ouni.

Le risque de tomber sous le coup de la loi vient désormais à l'esprit des marques en quête de visibilité. Par exemple, certaines d'entre elles ne travaillent plus qu’avec des influenceurs "certifiés" par l'ARPP, qui sont désormais 820. Si ce certificat octroyé par l’organisme "n’est pas un sésame", selon Mohammed Mansouri, son retrait peut entraîner "l’arrêt des partenariats avec certaines marques qui le rendent obligatoire".

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Caroline QUEVRAIN

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